REPORTAGES
Mineur·es en danger : l’administration juge, la rue condamne
Mineur·e ou pas ? L’État tranche, souvent contre les jeunes.
À Marseille, des adolescent·es exilé·es dorment dehors. Leur tort ? Ne pas avoir convaincu l’administration qu’ils sont mineurs. Une décision qui les prive de tout droit, sur la base d’évaluations incertaines.
Mineur·e ou pas ? En France, c’est l’administration qui décide.
À Marseille comme ailleurs, des jeunes migrant(e)s dorment dans la rue. Non pas par choix, mais parce que l’État ne les reconnaît pas comme mineurs.
« Depuis 3 semaines, nous vivons au campement du kiosque des Réformés. Nous sommes plus de quarante jeunes dans un espace très petit ». Pourtant, se dire mineur ne suffit pas : il faut convaincre un évaluateur, sans preuve absolue, sans droit à l’erreur.
Une évaluation sans norme, aux conséquences majeures
Lorsqu’un·e jeune isolé·e arrive en France, il ou elle doit passer un entretien mené par un service du Conseil départemental. Ce sont six points qui sont évalués : origine, parcours, famille, conditions de vie, projet de scolarité ou d’asile.
Mais la méthode n’est pas standardisée. Un récit trop “mature” ou approximatif peut suffire à disqualifier la minorité. Parfois, même un acte de naissance est rejeté. La Cimade* dénonce une « régularisation kafaïenne » avec des refus diverses et variées souvent très créatifs :
– Remise en cause des documents d’identité lors de la constitution du dossier de demande de titre de séjour
– Réelle confusion entre les notions de « nature » et « d’existence » de liens avec la famille restée au pays
– Remise en cause de la formation, de sa durée ou de la qualité d’apprentissage
– Refus de considérer l’enfant comme pris en charge par l’ASE lorsqu’il ou elle est chez un tiers digne de confiance
– Remise en cause de l’insertion du ou de la jeune dans la société française
– Refus de régulariser sous le prétexte fallacieux de lutte contre les réseaux mafieux et la traite des êtres humains
Dans certains départements, des tests osseux – pourtant controversés et largement dénoncés – sont toujours utilisés pour trancher. Ils consistent à radiographier la main, le poignet, les clavicules ou les dents, puis à comparer les clichés à des modèles de référence censés estimer « l’âge osseux » d’un individu.
Mais cette méthode, fondée sur une approximation, comporte une marge d’erreur de un à trois ans. En cas d’incertitude, la décision penche trop souvent du côté de la majorité.
Malgré cela, le Conseil constitutionnel continue d’en autoriser l’usage, alors même que de nombreuses instances médicales, juridiques et éthiques en réclament l’interdiction. Partout en Europe, les associations de pédiatres dénoncent une méthode dépassée : ni la dentition ni le squelette ne peuvent révéler l’âge réel d’un enfant, tout au plus en fournir une approximation entachée d’incertitude. La croissance osseuse, en effet, varie fortement d’un adolescent à l’autre. Elle dépend de facteurs aussi divers que l’origine ethnique et géographique, le niveau nutritionnel, les conditions socio-économiques, ou encore les antécédents médicaux et pathologies individuelles.
Être déclaré majeur sur la base d’un procédé approximatif, c’est perdre tout droit à la protection. C’est se retrouver seul, sans recours, à la rue.
*Organisation fondée en 1939 pour venir en aide aux personnes déplacées pendant la Seconde Guerre mondiale qui s’engage aujourd’hui pour la défense des droits des personnes migrantes, réfugiées et exilées.
Une minorité invisible : des chiffres et des vies
En 2023, plus de 19 000 jeunes ont été reconnus mineurs, un chiffre en forte hausse. Pourtant, dans la rue, nombreux sont ceux qui n’ont pas eu cette chance.
À Marseille, entre 150 et 200 jeunes qui se déclarent mineurs dorment dehors ou en squat. La majorité d’entre eux sont en attente d’un recours, souvent sans avocat ni hébergement. Quarante jeunes occupent le kiosque des Réformés, sur la Canebière, en plein cœur du centre-ville marseillais. Tous affirment être mineurs, en désaccord avec les conclusions rendues par le département. Malgré la canicule, ils ont été contraints de dormir dehors et se mobilisent désormais pour obtenir une mise à l’abri. Regroupés au sein du collectif Binkadi, ils défendent leur droit à la protection.
En 2019, 264 tests osseux ont été demandés, 56 réalisés, et 50 ont conclu… à la majorité. Combien étaient vraiment majeurs ? Personne ne le saura.
Recours : une course d’obstacles pour prouver qu’on est enfant
Un jeune refusé peut contester la décision devant un juge ou un tribunal administratif. Mais cela demande des preuves, des documents, des témoignages. La Cimade invite les jeunes isolé·es engagé·es dans une demande de titre de séjour à consulter une fiche pratique, qui détaille les démarches à entreprendre. Pour celles et ceux en procédure de demande d’asile, une fiche spécifique est également mise à disposition afin de les accompagner pas à pas.
Comment prouver qu’on a 16 ans quand on a fui son pays seul, sans papier avec souvent la barrière de la langue ?
Ces démarches prennent des mois. Pendant ce temps, pas de scolarité, pas de logement, pas de suivi. La rue devient l’unique solution. Un jeune peut ainsi rester invisible, exposé à tous les dangers, simplement parce qu’on doute de son âge. C’est le cas des jeunes présents au kiosque, laissés pour compté depuis le 4 juillet.
Ce n’est pas une formalité. C’est une injustice.
Refuser de reconnaître la minorité, ce n’est pas simplement refuser un statut légal : c’est refuser un avenir.
Sans scolarité, sans toit, sans sécurité, des jeunes qui souhaitent apprendre le français, aller à l’école et se former sont laissés à la rue.
Tout cela repose souvent sur un simple entretien, un test imprécis, ou un jugement arbitraire fondé sur leur apparence ou leur maturité. Martine Vassal, présidente du conseil départemental, a récemment déclaré : « On n’est plus capables d’accueillir toute la misère du monde. Au kiosque des Réformés, ce ne sont que des majeurs. Je dis stop. ». Allant jusqu’à affirmer à la presse : « 80% des faits de délinquance dans le centre-ville sont commis par des étrangers. »
Face à ces propos racistes, les jeunes du campement et du collectif Binkadi répliquent avec force : « On connaît nos droits et on continuera à les défendre. […] On veut juste un toit et aller à l’école. Le mépris que vous affichez dans vos paroles est blessant et révèle votre manque d’humanité. »
À l’heure où les droits de l’enfant sont au cœur des discours, comment peut-on tolérer que certain·es dorment dehors… simplement parce qu’on ne les croit pas ?
Aucun résultat trouvé
Impossible de trouver la page demandée. Essayez d’actualiser votre recherche ou utilisez la navigation ci-dessus pour localiser la publication désirée.
Aucun résultat trouvé
Impossible de trouver la page demandée. Essayez d’actualiser votre recherche ou utilisez la navigation ci-dessus pour localiser la publication désirée.
Aucun résultat trouvé
Impossible de trouver la page demandée. Essayez d’actualiser votre recherche ou utilisez la navigation ci-dessus pour localiser la publication désirée.
0 commentaires